« Pouvons-nous utiliser librement les textes générés par ChatGPT pour notre nouveau site web ? »
Derrière cette interrogation apparemment anodine se cache un véritable labyrinthe juridique, et éthique. Si les intelligences artificielles génératives prennent indéniablement leur part dans la production de contenu, la question de la propriété intellectuelle de ces créations devient cruciale pour les entreprises, ainsi que pour tous les acteurs de l’écosystème digital et print. Entre zones grises juridiques, positions divergentes des législateurs et enjeux économiques colossaux, tentons d’y voir plus clair.
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Le flou juridique actuel autour de la propriété intellectuelle : une mosaïque internationale de positions
Le cadre légal entourant la propriété des contenus générés par l’IA ressemble aujourd’hui à une carte en cours de conception, avec des approches qui pourraient être radicalement différentes selon les territoires.
Aux États-Unis, l’US Copyright Office (USCO) semble maintenir une position selon laquelle seules les œuvres créées avec une “intervention humaine substantielle” peuvent être protégées par le droit d’auteur. Cette approche s’illustre dans des décisions récentes où l’USCO a refusé d’accorder un copyright à des images générées entièrement par IA, tout en acceptant partiellement la protection d’œuvres où l’IA aurait servi d’outil sous direction humaine significative. Le mot d’ordre pour l’instant ? Travailler au cas par cas… Le sujet vous intéresse : feel free d’aller voir à la source !
À l’inverse, d’autres pays comme la Chine donnent l’impression d’aller dans le sens d’une approche plus progressiste. Des tribunaux locaux ont déjà reconnu un droit d’auteur sur certaines images générées par l’IA, considérant que le processus créatif humain en amont (sélection des prompts, édition, etc.) serait suffisant pour établir une forme d’auteurité. Si, si, ça se dit 😉
L’Union européenne, fidèle à sa tradition de précaution, a tout l’air de naviguer entre ces deux approches. Mais à dire vrai, les récentes initiatives législatives européennes se concentrent davantage sur la régulation des risques que sur la propriété intellectuelle. Elles pourraient néanmoins introduire des obligations de transparence sans toutefois trancher définitivement la question de la propriété.
In fine, cette situation crée un casse-tête pour les entreprises internationales. Et les consultants que vous êtes – ou ceux qui vous entourent – peuvent en attester : les clients expliquent très souvent avoir reçu des conseils juridiques potentiellement contradictoires pour l’utilisation d’un même contenu généré par l’IA, selon leurs marchés ou leurs canaux de destination.
IA et propriété intellectuelle : acteurs du débat, intérêts divergents et positions stratégiques
On l’a vu, cette question mobilise un écosystème complexe d’acteurs aux intérêts parfois diamétralement opposés. Mais qu’en disent les plateformes d’IA, justement ?
Les entreprises technologiques adoptent généralement des positions nuancées. Certaines stipulent dans leurs conditions d’utilisation que les utilisateurs possèdent le résultat de leurs interactions avec leurs outils, tout en se réservant le droit d’utiliser ces contenus pour améliorer leurs modèles.
Concrètement, côté clauses, ça donne quoi ? OpenAI par exemple, stipule « Entre vous et OpenAI, et dans la mesure permise par la loi applicable, vous (a) conservez vos droits de propriété sur vos entrées et (b) êtes propriétaire des résultats » tout en précisant que l’entité peut “utiliser votre contenu dans le monde entier pour fournir, maintenir, développer et améliorer [ses] services ». D’autres acteurs majeurs du secteur adoptent des positions similaires pour leurs propres outils.
Du côté des créateurs et artistes, la mobilisation s’intensifie. Diverses associations d’auteurs et d’artistes en Europe et ailleurs publient des manifestes demandant une “rémunération juste et appropriée” ainsi que “la transparence effective et complète vis-à-vis des titulaires de droit sur les œuvres et contenus protégés utilisés pour assurer l’entraînement des modèles d’IA »(Source: Paris 2025 AI Action Summit : International charter on ‘Culture and Innovation’).
Cette position fait écho à plusieurs poursuites judiciaires en cours, comme celles intentées par des auteurs et artistes contre des entreprises d’IA, pour violation présumée de droit d’auteur. Et les auteurs ou artistes qui alertent sur diverses dérives ne sont pas des moindres… Game of Thrones, ça vous parle ? Et Céline Dion ?
Enfin, les entreprises utilisatrices de ces services se retrouvent dans une position inconfortable.
Les facteurs déterminants pour la propriété intellectuelle : une question de degré et de contexte
Dans ce paysage incertain, plusieurs facteurs déterminants peuvent guider votre réflexion pour évaluer la propriété et les droits d’utilisation des contenus générés par l’IA.
1. L’intervention humaine comme critère crucial
Plus l’humain joue un rôle actif dans la création – par la formulation précise des prompts, l’édition substantielle du contenu généré, ou la curation des résultats – plus la revendication du droit d’auteur apparaît défendable.
Des cas médiatisés d’artistes ayant remporté des concours avec des œuvres créées via des outils d’IA, mais après un travail intensif sur les prompts et la direction artistique, illustrent cette nuance importante. Importante, et subtile, puisque l’obtention du prix n’a pas pour autant permis l’accès au graal copyright, les deux aspects n’étant pas nécessairement associables.
A ce propos, la position de l’USCO citée plus haut est claire : “saisir de simples prompts ne suffit pas à faire d’un utilisateur l’auteur du contenu généré par l’IA. » Tout est dit ?
A l’inverse, les artistes s’insurgent par exemple de la possible utilisation et transformation de leurs œuvres sur les plateformes d’IA. Car dans ces outils comme dans la vie, tout se transforme…
2. Le degré de transformation du contenu
Un texte qui réorganise simplement des informations factuelles est vraisemblablement moins susceptible d’être protégé par le droit d’auteur qu’un contenu véritablement créatif et original. Pour un client du secteur juridique, nous avons ainsi distingué l’utilisation de l’IA pour la rédaction de synthèses de jurisprudence (a priori faiblement protégeables) de celle pour la création de scénarios de formation (possiblement plus protégeables).
La distinction reste délicate, car les critères d’une intervention humaine significative ne sont pas encore clairement définis.
Les conditions d’utilisation des plateformes constituent un élément déterminant supplémentaire. Chaque service dispose de ses propres règles, créant un patchwork contractuel complexe. La plupart des services d’IA précisent dans leurs conditions que les utilisateurs acquièrent et disposent de leurs droits sur les entrées fournies et les sorties générées, mais avec une licence accordée à l’entreprise pour utiliser ces contenus afin d’améliorer ses services.
3. L’usage prévu du contenu
Commercial ou non, public ou interne : un rapport interne généré par l’IA soulève probablement moins de questions qu’une campagne publicitaire diffusée à grande échelle. L’usage comme le destinataire du contenu influence considérablement les implications juridiques.
Propriété intellectuelle des créations par l’IA : adopter une approche prudente mais pragmatique ?
La transparence semble actuellement s’imposer comme première règle d’or. Mentionner l’utilisation de l’IA dans la création de contenu pourrait devenir non seulement une obligation légale dans certaines juridictions, mais aussi une pratique éthique recommandée.
Une marque avec laquelle nous collaborons a ainsi fait le choix d’indiquer systématiquement « contenu co-créé avec assistance IA » sur ses descriptions de produits générées par intelligence artificielle.
La mise en place d’une documentation du processus créatif claire et exhaustive constitue une seconde précaution essentielle. Documenter et compiler les traces écrites à chaque étape, depuis la formulation des prompts jusqu’aux modifications humaines apportées, permettrait de démontrer l’apport intellectuel humain en cas de contestation.
Nous recommandons à nos clients d’établir un « journal de création » pour chaque projet impliquant l’IA
L’élaboration de politiques internes claires représente une troisième mesure de protection : les chartes d’utilisation de l’IA générative, définissant précisément les cas d’usage autorisés, les procédures de validation et les mentions obligatoires, peuvent représenter un rempart à court et moyen termes, en attendant d’y voir plus clair.
Enfin, la diversification des sources de contenu resterait une stratégie prudente. Ne pas dépendre exclusivement du contenu généré par l’IA, mais l’intégrer dans un mix plus large incluant du contenu entièrement humain ou co-créé, permettrait de limiter les risques.
Les perspectives d’évolution : vers une clarification progressive ?
Si le paysage actuel est incertain, il est encore en construction et amené à évoluer. Plusieurs tendances émergentes laissent entrevoir des évolutions significatives dans les mois et les années à venir. Armez-vous de patience, donc, et de tout autant de vigilance pour suivre les changements rapides potentiels du domaine, à la fois du côté des capacités des outils d’IA générative et de celui de la législation qui s’efforce de les suivre.
Des modèles économiques innovants commencent à apparaître pour répondre à ces défis. Certaines entreprises de création numérique développent des outils permettant de tracer l’origine des contenus et d’identifier la part de création humaine et artificielle : filigranes numériques, traçabilité blockchain, détection automatique de contenu IA… Autant de pistes, balbutiantes, pour faciliter la gestion de ces enjeux.
De leur côté, des plateformes d’images évaluent la possibilité d’établir des fonds de compensation pour rémunérer les artistes dont les œuvres auraient servi à entraîner des IA génératives.
>> Décryptage sur les enjeux actuels des banques d’images
Enfin, les instances de régulation semblent accélérer leurs travaux car l’un des seuls (et rares) consensus sur le sujet reste le suivant : les cadres légaux actuels sont insuffisants pour répondre à l’ensemble des questions de propriété intellectuelle soulevées par l’IA.
>> La détection automatique, on vous en parle d’ailleurs dans notre article dédié !
Vaste question, n’est-ce pas ? La question de la propriété des contenus générés par l’IA restera probablement en suspens pendant encore quelques années, le temps que législateurs et tribunaux rattrapent l’évolution technologique fulgurante.
Dans l’intervalle, une approche équilibrée combinant prudence juridique, transparence éthique et pragmatisme commercial semble la plus sage. Comme souvent dans l’histoire des innovations disruptives, nous traversons une période transitoire où les règles s’écrivent en même temps que les usages se développent. Les entreprises qui sauront naviguer intelligemment dans ces eaux troubles en sortiront probablement renforcées.
NB : les sources sont distillées au fil du texte pour vous permettre de contextualiser facilement l’ensemble des informations qu’il contient. Pour plus de précisions, n’hésitez pas à prendre contact avec notre équipe